Dans le magazine « Capital » et « Management »: La gestion des conflits par le sport en entreprise

Chef cuisinier, manager hors pair et ceinture noire de judo, Thierry Marx possède quelques atouts pour canaliser les fortes têtes au sein de son équipe. Il répond à nos questions en compagnie de Benoît Campargue, son partenaire de tatami, qui est aussi l’ex entraîneur de Teddy Riner.

C’est avec Benoît Campargue, champion d’Europe de judo et entraîneur de Teddy Riner, que Thierry Marx, chef des restaurants du Mandarin oriental, à Paris, pratique chaque semaine son kumikata, la prise du kimono. Tous deux consultants pour Sport Management System, une entreprise de coaching sportif, ces judokas émérites dispensent aussi leurs conseils aux managers en quête de performance collective. Nous sommes allés les défier sur le tatami pour en savoir plus sur leur façon de s’y prendre avec un collaborateur ingérable.

Management : Vous avez un râleur dans votre équipe. Comment réagissez-vous ?

Thierry Marx : Je l’écoute et je l’observe. Un râleur a besoin de dire quelque chose. Et cela vous incitera peut-être à vous remettre en question. Les jeunes, par exemple, n’osent pas toujours vous parler. Alors ils vous envoient des messages codés. Ils ne mettent pas la cravate comme il faut, ne suivent pas les consignes. Le rôle du manager est de laisser une place au dialogue, toujours. Bien sûr, il y a aussi des râleurs chroniques, mais on les gère facilement quand l’ambiance globale est saine. A mes yeux, le profil le plus difficile dans une équipe, c’est le collaborateur frustré, celui qui ne sait pas trop où il va. Il faut l’aider à trouver un sens à son travail.

Benoît Campargue : Les sportifs de haut niveau sont souvent un peu difficiles à gérer parce que ce sont de fortes personnalités. Ca fait partie des critères de sélection. Généralement, ceux qui ne sont pas un peu “chiants” n’iront pas très loin. Les caractères bien trempés sont une chance pour une équipe. Ce sont des leaders, ils donnent la direction. Mais on doit leur fixer des objectifs, être sincère et cash. Ne pas toujours aller dans leur sens. Et surtout ne jamais les laisser mettre en péril le collectif. Attention cependant : il ne faut pas affronter un leader en public. Vous risquez de vous mettre toute l’équipe à dos ! On l’a vu avec la sélection nationale de football en Afrique du Sud.

Comment gérez-vous ces personnalités difficiles ?

Benoît Campargue : L’art du coach, c’est de composer son équipe et d’ajuster les profils entre eux. Il y a de tout chez les champions : ceux qui sont prêts à croquer les autres pour réussir et qu’il faut canaliser, mais aussi ceux qui, comme Teddy Riner, ont une grande sensibilité et doivent être accompagnés dans leurs remises en question.

L’équilibre d’une équipe est subtil. On évitera d’associer de profils trop semblables, par exemple en plaçant aux côtés d’un ego puissant quelqu’un de plus conciliant. Et il faut fixer un objectif clair dès le départ, en restant attentif à chacun. Un collectif, c’est une addition d’individus. Le moteur personnel est primordial. Si l’on met le doigt dessus, on résout beaucoup de choses.

Thierry Marx : Quand j’ai repris les cuisines du Mandarin, l’actionnaire m’a demandé : “Quel est votre modèle managérial ?” Je me suis inspiré du code d’honneur du judo, celui que l’on donne aux gamins qui débutent. On y trouve des instructions très simples. D’abord dire bonjour, pour se reconnecter aux autres. La force du sport, c’est la loyauté, le respect des règles et des valeurs. C’est ce que j’essaie d’apporter ici. Chaque mercredi matin, j’organise une course sur les quais. La production, les finances, le marketing… tout le monde court ensemble, et ça apaise les tensions.

L’entreprise est un univers sous pression qui ne fonctionne bien que dans la relation humaine. On a beau appliquer des règles, ce qui compte au final, c’est l’humain. Gérer le staff, je le dis souvent à Benoît, c’est comme pratiquer le kumikata, la prise du kimono avec les mains. Tout part de là, de la façon dont tu empoignes ton adversaire. Cela exige un contact très souple, et en même temps très présent. Je ne parle pas ici de fermeté ni le d’autorité, mais de présence.

Quelle différence faites-vous entre l’autorité et la présence ?

Thierry Marx : La contrainte est souvent contreproductive. Je ne gueule jamais. Je n’en ai pas besoin. Si quelqu’un gueule, c’est qu’il est anxieux, qu’il a fait une erreur. Le management, ce n’est pas ça. C’est transformer des compétences techniques en réalité opérationnelle, au quotidien, avec 450 personnes. Vous devez gérer une pression constante sur le plan émotionnel et physique. D’où le sport, qui m’a permis de toujours m’en sortir.

Courir ensemble, faire du tai-chi simplifie les relations humaines. On introduit un espace entre les actions et les émotions. Ce qui nous donne l’occasion de nous parler, en dehors des tensions de la production. Il est plus facile de dire à un gars qu’il court trop vite et qu’il nous sème tous que de s’engueuler pendant le service ! Et il comprendra mieux le message.

Benoît Campargue : En entreprise, il n’y a pas de contact physique, à part la poignée de main matinale. Cela génère des tensions. On a besoin de se dépenser, de se confronter sur un autre terrain que celui du travail. Dans le sport de combat, il faut un adversaire pour progresser. C’est pareil dans l’univers professionnel. Votre adversaire est votre meilleur partenaire. Mais en judo, on ne l’affronte pas directement. On commence par le kumikata… et on l’envoie au tapis, sans agressivité !