« Le pouvoir de l’échec »

Interview de Benoit Campargue « La gestion de l’échec » pour le magazine Sport & Style

Le pouvoir de l'échec - Benoit Campargue

Le pouvoir de l’échec – Benoit Campargue

Sport&Style: Comment parle-t-on de l’échec dans le milieu sportif (et de l’entreprise) ? Est-ce un tabou ?

BC: Au niveau du sport, l’échec a longtemps été un tabou, du moins jusqu’aux années 90 où il ne devait pas faire partie du vocabulaire. Cela rassurait, mais aujourd’hui les mentalités ont évolué et on s’en sert dans le but de progresser. C’est un peu comme lorsqu’on se sert de l’histoire du passé pour construire l’avenir. Au niveau des entreprises, la pression est différente car on est davantage dépendant de la hiérarchie et des objectifs de la société. Cependant prendre de la hauteur par rapport aux enjeux mais aussi par rapport à l’échec éventuel est toujours nécessaire si on veut être efficace. C’est la où la pratique du sport en entreprise est bénéfique.

Sport&Style: Comment introduire la notion d’échec dans une logique de « gagne »  Est-il nécessaire de se préparer à « rater » ou à « perdre « ?

BC: L’échec peut s’apparenter à une chute en patinage artistique, en judo, en sport motocycliste, lors d’un crash en F1 ou lorsqu’on n’atteint ses objectifs dans l’entreprise. Plus on le redoute plus on va au tapis. Cependant il fait partie de la réussite car il permet de se construire ; si on l’évite trop, si on le redoute trop, on le subit et c’est lui qui nous domine un peu comme la peur du vide qui nous attire. Si on veut dompter l’échec tout comme pour le danger, on doit l’affronter avant qu’il nous rattrape. Par conséquent il faut dominer sa peur et l’intégrer dans notre approche. Ne jamais aborder l’échec serai contre productif car on ne se donne plus le droit à l’erreur. En parler permet d’être plus serein, de dédramatiser et d’éviter d’en faire une fixation. Cela permet d’avoir une certaine liberté d’esprit et de fonctionnement qui permet d’être performant. J’ai connu cela lorsque j’étais pilote motocycliste; j’affrontais volontairement la limite ce qui me permettait de dominer ma peur et me rendais plus serein. C’est une forme de prise d’initiative qui permet d’aller au devant du danger et en quelques sortes le dominer et surtout, ne pas subir.

Sport&Style: Échec et performance ? Sont-elles deux notions compatibles ?

BC: Il y a 2 manières d’appréhender l’échec : soit on s’apitoie sur son sort et on s’effondre avec lui, soit on l’utilise pour devenir plus fort. Donc oui, l’échec et la performance sont compatibles, il nous construit à partir du moment où on l’utilise à des fins de progrès et on se remet en question de façon permanente. Cela s’appelle apprendre de ses erreurs. Donc oui, échec et performance sont compatibles à partir du moment où il permet de progresser et ne pas reproduire les mêmes erreurs.

   

Sport&Style: Avez vous des exemples d’échec salutaire dans la carrière d’un sportif ?

BC-Par respect pour ces sportifs qui ont connu l’échec, je n’irai pas jusqu’à dire qu’il a été salutaire car je pense qu’ils s’en seraient bien passé. Lorsque Teddy Riner a perdu sa finale en 2010 à Tokyo, je lui ai dit 2 choses : « si tu veux devenir champion olympique tu dois faire la différence sur le tableau de marque afin qu’il n’y ait pas de discussion possible au niveau de l’arbitrage », deuxièmement, « tu dois te servir de cet échec pour devenir invaincu et devenir plus fort encore ». On connait la suite. Mais nul ne sait ce qui se serait passé sans cela. Lorsque je suivais un pilote Français de F1 en 2012 et 2013, ce dernier a été confronté à l’échec et surtout au regard des autres pilotes, du staff et de tout le monde environnant, ce qui l’a mis dans une spirale négative un certain temps. Cela lui a permis cependant de se « blinder»  après ces épreuves difficiles. D’autres ont connu des échecs répétés une grande partie de leur carrière mais se sont accrochés et ont performé sans discontinuité comme le skieur Luc Alfand après ses nombreuses blessures ou le tennisman André Agassi. Ce n’est pas un miracle, ce sont des athlètes qui n’ont rien lâché. Dans ces cas précis, on peut dire que l’échec les a rendu encore plus motivés. Généralement, les sportifs de haut-niveau n’arrêtent pas suite à une blessure, cela est au contraire souvent un nouveau départ pour eux. Ils veulent toujours « remettre les couverts « .

Sport&Style: Dans votre coaching, comment abordez-vous l’échec ? par des exercices ? des jeux de rôle ?

BC: Il existe plusieurs types d’échec, les grands et les petits. Un échec à l’entraînement ce n’est rien, on doit même parfois le provoquer en rendant les tâches plus difficiles afin que la compétition soit plus « facile » ensuite. Un échec en compétition c’est déjà plus important et un échec de carrière peut être perçu comme dramatique par l’athlète et son environnement. Dans ces cas, le rôle du coach est de mettre le doigt sur ce qui n’a pas fonctionné et de faire en sorte que l’athlète se re-concentre sur ses projets à venir qu’ils soient sportifs ou professionnels car sans projet on n’avance pas. Il faut parfois même faire table rase du passé. Dans la plupart des cas, c’est juste l’interprétation qui fait la différence. Dans ce cas, un bon coach est celui qui a connu des échecs et sait comment les surmonter. On dit souvent, « si tu es vivant c’est que tout va bien ».

Sport&Style: Comment réagissent les cadres dirigeants à cette notion ?

BC: Dans le monde  de l’entreprise, certains cadres viennent me parler de leur détresse suite à une « mise au placard » ou une réorientation forcée. Je leur dis toujours : soit tu t’apitoies sur ton sort et tu ne vas guère avancer, soit tu t’en sert pour évoluer, avancer et progresser. La fameuse « mise au placard » permet par exemple de se former, se reconstruire, se poser pour mieux repartir; l’expérience n’est jamais perdue, une réorientation peut permettre de connaitre un ou des secteurs vers lesquels on ne serait jamais allé sans cela. Néanmoins, dans la plupart des cas, un échec professionnel peut être évité si on est décisionnaire de son projet de carrière et ne pas laisser les autres décider pour soi; un peu comme un sportif vis-à-vis de l’arbitrage. Lorsqu’on met un K.O. ou un ippon, on décide, lorsqu’il n’y a pas d’avantage marqué c’est l’arbitre qui décide et c’est la même chose dans l’entreprise car si on subit, les autres décident pour nous et ce n’est pas bon. Je cite souvent en exemple le chef Thierry MARX qui a connu de nombreuses expériences avant de devenir chef étoilé et chef d’entreprise; je pense qu’il a su décider et se nourrir de toutes ces expériences; cela l’a emmené là où il est aujourd’hui. Les cadres dirigeants comme lui sont des athlètes de haut-niveau : prendre des décisions rapidement, être en forme à tout moment, gérer sa carrière et avoir un projet d’avance. Le sport en entreprise est un fabuleux outil managérial pour toutes ces thématiques. Par exemple la société Sport Management System met en place des programmes de sport en entreprise avec un message managérial grâce à des intervenants issus du sport de haut-niveau. L’échec est ce qu’ils connaissent de mieux. e sont eux qui sont les plus à même d’expliquer pourquoi il ne faut jamais lâcher ou en tout cas ne pas se décourager pour rebondir.

Sport&Style: Quels conseils leur donnez vous pour « réussir une plantade » ? l’accepter, la transformer?

BC: Accepter n’est pas la solution, faire le deuil et analyser, oui. Il faut analyser le  niveau d’impact car souvent il s’agit d’épiphénomènes. Et si les conséquences sont importantes, il faut analyser ce qui n’a pas fonctionné et regarder vers l’avenir afin de se remobiliser, se dire qu’il y aura des jours meilleurs de toute manière. Pas de projet, pas d’émulation, pas d’enthousiasme, pas de motivation et donc pas d’efficacité. Tout collaborateur, cadre ou salarié doit avoir des projets qu’ils soient familiaux, personnels  ou professionnels, c’est ce qui va les animer et donner du sens à leur vie. Une passion extra professionnelle permet souvent d’être meilleur dans son métier car elle crée de l’enthousiasme chez le salarié ; de plus, sa relation aux autres est meilleure. J’ai connu cela lorsque j’ai réalisé mon rêve de devenir pilote motocycliste en 1991 alors que je courrais après une réussite sportive majeure en judo, mon sport de « prédilection ». Peu après, je suis devenu champion d’Europe, j’ai fait les Jeux Olympiques et suis devenu champion du Monde par équipes (de judo) tout en menant une double carrière. En conclusion, on peut avoir des doutes mais ne jamais se décourager!

Sport&Style: Quelques exemples intéressants me semble-t-il :
Raymond Poulidor, éternel N°2 et adoré… pourquoi accepte -t-on cette fatalité ?
Emil Zatopek et Alain Mimoun… échec et victoire en ont fait des gagnants-gagnants ?

BC: Poulidor a compris au bout d’un certain temps que,même si il ne l’a pas fait exprès, être 2ème pouvait se transformer en victoire aux yeux de l’opinion. Il en a comme ont dit tiré les marrons du feu, cela a été sa marque de fabrique et on le voit encore aujourd’hui dans la caravane du tour. En ce qui concerne Mimoun et Zatopek, on retient le titre de champion Olympique du coté de Mimoun mais surtout une belle histoire humaine entre 2 personnes qui se sont énormément respectés. L’histoire est peut-être plus belle que la médaille. Pour avoir bien connu Alain qui me transportait dans sa 2cv lorsque j’ai intégré l’Insep en 1985, ce que j’ai retenu de lui c’est qu’il était surtout un amoureux du sport au-delà du résultat sportif. Echecs ou titres peu importe, il a couru jusqu’à sa mort.

Sport&Style: Le choix de Florent Manaudou de se mettre au handball et de faire une parenthèse ? Un risque d’échouer dans un nouveau sport nécessaire à sa motivation ou une anticipation sur l’échec ?

BC: Le résultat ou l’échec n’est pas le plus important, l’essentiel est de donner du sens à sa vie et surtout avoir un/des projets. Lorsqu’on me parle du challenge de Florent Manaudou d’un ton ironique, je réponds que j’aurais fait la même chose à sa place. L’opinion publique veut des médailles d’or olympiques, lui veut une nouvelle aventure, peut-être celle dont il a toujours rêvé. Qui sait s’il ne préfère pas le hand-ball à la natation au fond de lui. Je pense être bien placé pour parler de cela car j’ai toujours pratiqué le judo et cela a bien fonctionné au niveau des résultats mais mon vrai rêve était de devenir pilote motocycliste, ce que j’ai fait en 1991 alors que j’étais au top. Résultat : j’ai réalisé mon rêve et été champion d’Europe de judo la même année en 1992. Avec du recul, je choisirais toujours ce parcours à une médaille olympique que je n’ai pas eue. Manaudou ne sera peut-être pas champion de Hand-ball mais il réalisera un rêve, celui de tenter l’aventure dans une autre discipline ; je félicite les champions qui prennent ce risque.

Sport&Style: La réaction de Renaud Lavillenie aux JO de Rio ?  une « mauvaise »  préparation à l’échec  Qu’en pensez-vous ?

BC: C’est difficile de se mettre à la place de l’athlète dans ces moments si particuliers. Peut-être ne s’attendait ’il pas à cela. Dans tous les cas, il faut être préparé à minima à répondre à chaud car malheureusement l’impact peut-être très néfaste au vu de la vitesse à laquelle les informations se propagent et parfois se déforment aujourd’hui. Lorsqu’on est en vue, une mauvaise parole, c’est comme si on allumait une mèche qu’on n’arrive plus à éteindre avec des effets qui peuvent être dévastateurs. C’est pour cela que, au sein de Sport management System, nous préparons les athlètes en médias training afin qu’il soient armés face à la polémique.

    

« C’était une grosse déception de ne pas gagner la médaille d’or au sprint Dimanche. Aujourd’hui, il y a ce titre… » Martin Fourcade, JO de PyeongChang

ITW réalisé par Manuelle CALMAT – Magazine Sport&Style

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