11/04/13:ITW B. Campargue »La recherche de la performance, le fil conducteur » Y.Donat-Magnin

RG-EB
L’ancien coach de Teddy Riner était à Singapour avec Romain Grosjean, pour sa première course après sa suspension de Monza
Benoît Campargue, ancien motard et judoka de haut niveau, accompagne Romain Grosjean dans sa préparation depuis un an. Il a accepté de répondre à nos questions.

Vous êtes connu pour avoir notamment amené Teddy Riner au titre olympique à Londres l’été dernier. Comment en êtes-vous arrivé à travailler avec Romain Grosjean ?
« On s’est connus avec Romain début avril 2012, j’étais en pleine préparation pour les Jeux (avec l’Équipe de France masculine de judo). Romain avait besoin de cohérence dans sa préparation et son accompagnement physique. Je lui ai expliqué qu’il fallait que je prépare les Jeux, mais j’ai pris sur mon temps libre pour l’entraîner sachant que le plus important pour lui, c’est son staff et son écurie. »

Les JO de Londres se terminent, vous apparaissez ensuite aux côtés du pilote Lotus pendant les courses, à partir du Grand Prix de Singapour, au mois de septembre.
« Après les Jeux, il y a eu Spa et ce que vous connaissez (Lewis Hamilton, Fernando Alonso et Sergio Pérez doivent abandonner après une grosse erreur du Franco-Suisse, qui sera ensuite suspendu pour Monza). Lotus via Romain ou Romain via Lotus m’a demandé de venir sur quelques courses pour épauler Romain dans ces moments un peu plus difficiles. Il avait besoin de confiance à ce moment-là, c’était intéressant pour lui d’avoir un soutien supplémentaire. Ça s’est fait très simplement. Quand on dit qu’il y a eu des problèmes chez lui, c’est vrai. Mais il y avait seulement des petits réglages à faire. »

 »Je reste disponible, si besoin »

Mais vous n’étiez pas avec lui à chaque Grand Prix, sur lesquelles l’avez-vous accompagné ?
« À partir du moment où tout va bien, je n’ai pas de raison d’aller sur les circuits. Cette année, je n’y vais pas. L’an dernier, j’ai fait Singapour, Suzuka (au Japon) et Yeongam (en Corée). »

Cette année, vous n’étiez pas en Australie ni en Malaisie, ce n’est pas prévu que vous alliez sur certaines courses cette saison ?
« Non, pas du tout. Mais l’an dernier, ce n’était pas prévu non plus. Après, je reste disponible s’il y a un besoin. J’irai peut-être sur les Grands Prix les plus proches par passion, comme simple spectateur… »

Quand vous voyagez avec lui, vous n’êtes plus préparateur physique, vous l’aidez à aborder mentalement la course.
« On m’a mis l’étiquette de préparateur mental, je ne dis pas que je ne le suis pas, mais l’entraînement englobe plusieurs choses. Quand on entraîne quelqu’un, on l’entraîne physiquement oui, mais aussi psychologiquement. Il n’y a pas de recette miracle. Mais on doit toujours faire en sorte de tirer la quintessence d’un athlète en mettant en place parfois des choses anodines. »

Vous avez donc plusieurs recettes, plusieurs méthodes à votre disposition pour faire descendre la pression chez un athlète, dans ce cas-là chez un pilote.
« Le pilote peut cogiter car ça s’est mal passé la course d’avant ou quand il se prépare pour la suivante, il faut l’occuper. Au lieu de tourner en rond dans un hôtel, il a parfois besoin de voir autre chose, de se vider la tête. Tu peux très bien aller faire un bowling avec lui. Je vous dis bowling, ça peut être aussi un tennis, Cela dépasse le cadre de l’entraînement pur et dur mais c’est aussi important »

« Entre Suzuka et Yeongam, on est allés faire du judo au Japon (au kodokan, siège de la fédération japonaise). Ce n’est pas le judo qui a fait que ça a marché en Corée (septième à l’arrivée, ndlr), c’est le fait d’avoir décroché. On s’est détendus, ça lui a permis d’oublier un peu Suzuka (accrochage avec Mark Webber, qui l’avait affublé du surnom de  »cinglé du premier tour »). On retrouve une fraîcheur physique et mentale que si on sort un peu du contexte. Si on a le nez dans le guidon, 24 heures sur 24, au moment de l’objectif, on n’est plus là. »

« L’important, amener le pilote en forme pour l’objectif. »

Le travail physique avec un pilote de Formule 1 est-il fondamentalement différent par rapport au judo ?
« Oui, complètement. La Formule 1 est une discipline spécifique. Mon expérience en moto ou en judo me permet aujourd’hui, avec d’autres personnes, de mettre en place des outils, de m’adapter par rapport à la spécificité de la F1. C’est un sport d’endurance, de force, de concentration. Il faut aussi englober l’aspect sport mécanique, avec tout ce que cela comporte comme pression et ce n’est pas anodin. »

« Mais, avant tout cela, il faut connaître l’athlète. Quelqu’un comme Romain qui arrive, que je ne connais pas, on met en place les fondations, on voit ce qu’il vaut. Au départ, il vaut mieux s’abstenir que faire les choses à contresens. Avec Romain, on y est allés très progressivement. Pour moi, il est hors de question de pondre quelque chose de très précis sur une personne que tu ne connais pas. Il faut connaître ses fragilités, s’il y en a, il ne faut pas le blesser. Le but, ce n’est pas de faire quelque chose de très pointu et de  »péter le mec ». On y est allés doucement, je n’avais pas conscience de sa psychologie, de sa façon de fonctionner, de ses capacités et de son vécu. »

Avec le calendrier à dix-neuf courses cette année, vingt en 2012, il y a parfois deux week-ends de suite avec Grand Prix. Donc là, pas d’entraînement physique. Mais il y a beaucoup d’autres choses à gérer pour les pilotes de F1.
« Oui, il faut maîtriser le planning, gérer la surcharge au niveau de l’emploi du temps. C’est surtout vrai pour la F1, il faut gérer l’environnement, les sollicitations médiatiques, les partenaires, l’usine, l’écurie… Si tu crées de la surfatigue avant une course, c’est très compliqué de récupérer une fraîcheur mentale. Dans l’entraînement, il faut donc tenir compte de son emploi du temps. »

« On fait des séances physiques quand il y a au moins deux semaines entre deux Grands Prix. Et on arrête les choses dures à J-7 avant le départ pour le circuit (le mardi pour les courses en Asie, par exemple). Hors de question pour moi de mettre deux séances par jour à J-5. On fait des séances de maintien, mais on ne va pas construire, développer quelque chose avec une accumulation de fatigue. »

Entre la Malaisie et la Chine, il y a eu trois semaines sans course, vous avez donc pu travailler.
« Oui, on a fait cinq jours à l’INSEP (Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance) en terminant par une séance de natation. On a fait une ou deux autres séances avant qu’il parte (pour la Chine), mais à partir de J-7, c’est plus du plaisir. Il faut que le mec ait la banane, qu’il ne parte pas en disant : ‘Je dois prendre l’avion, c’est dur, je suis fatigué.’ Si tu ne tiens pas compte de sa pression, de sa charge au niveau des sollicitations, tu as tout faux. Après, chacun voit midi à sa porte. Pour moi, le plus important, c’est d’amener le pilote en forme pour l’objectif. Si, quand le mec arrive, il est cuit, il est blessé, il a le moral dans les chaussettes, ça ne sert à rien. »

Il a commencé le judo en même temps que le début de votre collaboration, il vient d’avoir sa ceinture orange (celle qui vient après la jaune-orange). C’est vous qui lui avez demandé de se mettre à ce sport ?
 »Non, mais à un moment donné, nous avons voulu essayer, ça lui a plu. Aujourd’hui, ça lui plaît beaucoup. La notion de plaisir est importante. Mais tout ce travail de préparation n’est qu’un satellite de l’ensemble, ce n’est pas le cœur de la discipline. Chacun doit rester à sa place. Ce que je fais, je considère que c’est important, mais je ne suis qu’un satellite de la performance de Romain. L’élément central reste le pilotage, l’environnement dans son écurie. »