BENOIT CAMPARGUE: « IL Y A DE VRAIES ZONES BLANCHES DU SPORT EN FRANCE »

Article Filièresport- 20/09/2019

Ancien champion d’Europe de judo et coach de Teddy Riner, Benoît Campargue a souhaité mettre son expérience au service d’une France plus sportive et unie. Dans cet entretien, il revient pour nous sur son tout dernier projet : Shizen Sport-Truck.

POUVEZ-VOUS NOUS EXPLIQUER BRIÈVEMENT EN QUOI CONSISTE CE PROJET DE « SPORT TRUCK » ?

Pour moi, le concept d’innovation réside dans sa capacité à élaborer des réponses nouvelles aux besoins de la société. Shizen Sport-Truck est le premier terrain de sport qui vient à vous et qui permet de rendre tout type de pratique ludique et sportive possible. Plus concrètement, on pose notre véhicule et ses équipements sur un espace, au centre d’une commune, d’un quartier, d’une école ou d’une entreprise et on invite les personnes à faire une heure de sport animée par des sportifs de haut-niveau. Le camion a deux intérêts majeurs : il permet de nous rendre plus visibles et identifiables et bien évidemment de transporter le matériel. Le matériel ne se résume pas aux équipements sportifs, puisque l’on propose des sets de douche écologiques pour permettre aux personnes qui doivent retourner travailler ou qui ont un rendez-vous, de se laver. On propose également des repas bios, une bagagerie, et des cabines de change. On prête aussi des vêtements de sport à ceux qui n’ont pas les moyens et on en vend à ceux qui peuvent se le permettre, pour respecter notre volonté d’égalité de la pratique. Nous sommes également équipés d’une sono mobile et d’un écran pour dynamiser les séances et sensibiliser le public aux bienfaits du sport. Le Shizen Sport-Truck peut aussi se transformer en site de conférence grâce à notre grand écran avec vidéo projecteur.

D’OÙ VOUS EST VENUE L’IDÉE ?

Elle est venue à partir de trois constats. Le premier est le manque d’équipement sportif. Les zones rurales profondes et les grandes villes avec une forte densité de population ont un réel manque d’équipement sportif. Paris est par exemple la ville la moins équipée au nombre d’habitants. Mon souhait était de travailler sur un équipement mobile qui permet de retirer les freins à la pratique sportive tout en utilisant l’environnement qui nous entoure.

Le deuxième constat est le manque d’accessibilité au sport pour tous. L’objectif est de créer une égalité des territoires en termes d’accessibilité au sport pour les différentes populations : publics éloignés (quartiers et zones rurales), salariés en entreprise, familles monoparentales, étudiants, seniors. Notre volonté est de proposer à toutes ces personnes des séances de qualité menées par des coaches de haut-niveau qui apportent une expertise dans la qualité des exercices proposés. Je souhaite, au travers de la pratique sportive, créer du bien-être, de la santé mais aussi de la cohésion et du lien social. Ce lien social peut se créer très facilement autour du sport à partir du moment où il se pratique en groupe et de manière conviviale.

Le troisième et dernier constat est l’urgence écologique. On souhaite participer, à notre échelle, à un monde plus éco-responsable. On parle beaucoup d’écologie, c’est bien, mais il est nécessaire d’agir. Ce dispositif ne consomme en rien en comparaison d’un gymnase que ce soit en termes de construction, de chauffage, ou de maintenance. Il permet de prouver par la pratique que le sport éco-responsable : c’est possible.

ON PARLE DE « ZONES BLANCHES » EN TERMES DE COUVERTURE INTERNET. PARLERIEZ-VOUS DE « ZONES BLANCHES DU SPORT », EN FRANCE ?

Notre aventure est partie de là. Quand je travaillais au ministère je constatais qu’il y avait de vraies zones blanches spécifiquement dans les zones de revitalisation rurale, ou dans les quartiers politiques de la ville. Mais pas seulement : ce n’est pas parce que l’on vit dans un quartier huppé que l’on a accès aux équipements. Ma volonté est de n’exclure personne, de créer une harmonie qui va au-delà des différences culturelles et sociales. On remarque qu’il une vraie fracture sociale car les personnes ne se parlent plus. Or, au travers du sport, il y a un échange qui est formidable, il crée de la convivialité, les gens se touchent.

Le Shizen Sport-Truck permet d’apporter une offre sportive moderne et conviviale dans tous les territoires qui en ont besoin, en particulier pour les publics éloignés. C’est pour cela que je déploie le dispositif au pied des immeubles comme dernièrement à Bonneuil/Marne(94) et prochainement dans le département des Yvelines. Le sport est un levier sociétal universel aussi important que l’art ou la culture.

EN TANT QU’ANCIEN ATHLÈTE PUIS ENTRAÎNEUR DE HAUT NIVEAU, QU’EST-CE QUI VOUS ANIME DANS CE NOUVEAU PROJET ?

Le sport de haut-niveau m’a beaucoup apporté. J’ai eu la chance de vivre des moments exceptionnels comme mon titre de champion du monde, le premier titre olympique de Teddy Riner ou encore les premiers podiums en Formule 1 de Romain Grosjean. Mais le sport c’est bien plus que ça. J’ai voulu apporter mon expérience au service de tous.

JUDO – JO 2012 – 2012 riner (teddy) – (fra) – campargue (benoit) – (fra) – *** Local Caption ***

Au travers du sport, je veux lutter contre la sédentarité, et faire la prévention des risques qu’elle engendre. Depuis plusieurs années, les risques de maladies chroniques telles que le diabète et le cancer sont en constante hausse. Selon les études de l’IRSERM et de l’OMS, il y a jusqu’à 29% de risques supplémentaires de devenir diabétiques lorsqu’on ne pratique pas une activité physique régulière, idem pour certains cancers ou maladies cardio-vasculaires et jusqu’à 70% en ce qui concerne la maladie d’Alzheimer. On gagne aussi en moyenne trois ans d’espérance de vie et huit ans d’autonomie en fin de vie. Comme je le dis souvent : « Entretenez votre véhicule ! » car Les modes de vie modernes ont fait que la sédentarité a explosé.

Mais ce qui m’anime le plus, c’est la possibilité de recréer du lien social. Aujourd’hui, avec la multiplication des écrans, les gens ne se parlent plus ou très peu. Quand on met en place des ateliers de sport en entreprise, on dit : « on va vous mettre en ”mode avion” » car c’est le seul moment de la journée où ils n’ont pas d’écrans. Même dans les salles de sports aujourd’hui, il y a des écrans un peu partout : sur les tapis roulants, sur les rameurs… Dans le sport de nature, à l’inverse, on est vraiment déconnecté de ce monde-là, de cette mauvaise fatigue, de ce stress permanent. On leur propose une « bonne fatigue ». Aujourd’hui, on fait huit fois moins d’activité qu’au début du siècle dernier notamment en lien avec l’émergence des métiers sédentaires au bureau. Il faut donc lutter contre cet immobilisme.

Avec Shizen Sport-Truck, on fait rencontrer des publics qui ne rencontrent jamais. Et si on ne va pas à la rencontre de ces publics, ils ne pousseront jamais la porte des associations sportives. On sert de trait d’union entre les associations locales et ces publics car, à notre départ, nous faisons en sorte que les participants poussent la porte des associations sportives locales afin de pérenniser l’activité sportive.

VOUS INTERVENEZ-VOUS BEAUCOUP DANS LES LYCÉES. POUR QUELLES RAISONS ?

Nous intervenons dans les lycées pour emmener et diffuser les valeurs éducatives du sport. Nous emmenons également l’expertise du haut niveau pour soutenir les professeurs d’EPS dans leur enseignement. On essaie avec cela de promouvoir les valeurs éducatives du sport. Nous souhaitons, tout comme l’Etat, une meilleure éducation des enfants dès le plus jeune âge. Nos actions vont dans ce sens et le Shizen Sport-Truck est un formidable outil pour cela. Les enfants ne savent souvent pas pourquoi ils font du sport. De la même manière qu’on leur explique pourquoi ils doivent apprendre les mathématiques ou le français, on doit les sensibiliser sur les bienfaits et l’utilité du sport. Tout d’abord, il y a un aspect sécuritaire, car si on n’est pas en capacité de se défendre ou de courir dans des situations de conflits, cela peut nous mettre dans une position de danger. Il y a aussi l’estime de soi, la posture, le savoir-être, et puis évidemment la santé et sa prévention. On fait également des journées d’intégration incluant des team-buildings au travers du sport et ses valeurs mais aussi du chant.

VOUS ÊTES TRÈS PRÉOCCUPÉ PAR LA JEUNESSE, VOUS CRÉEZ NOTAMMENT BEAUCOUP D’INITIATIVES DANS LES QUARTIERS. VOUS Y FAITES MÊME DU SOURCING.

Beaucoup de jeunes pensent que l’emploi n’est pas fait pour eux. 85% d’entre-eux sont intéressés par le sport. Avec l’association « Pass’Sports pour emploi », que j’ai créée avec Thierry Marx, nous voulons, « sortir les jeunes de la cage d’escalier » et leur dire ”venez nous voir ! Au travers du sport on va vous trouvez un métier”. Le Shizen Sport-Truck devient alors un outil de sourcing qui propose à ces populations éloignées de l’emploi, une activité professionnelle grâce au sport. Et ça marche, car nous obtenons 100% de retour à l’emploi grâce au sport pour des métiers autres que sportifs.

COMMENT CELA SE PASSE-T-IL CONCRÈTEMENT ?

On ne leur propose jamais des métiers parce que cela les motive peu. Pour éveiller leur curiosité et leur offrir un avenir professionnel, on leur propose au travers du sport des formations en lien avec la branche professionnelle. Pour être certain qu’ils trouvent un job dès la fin de la formation, on va d’abord chercher les emplois auprès des entreprises et ensuite on adapte les formations à ces emplois. On les forme 12 semaines et, au bout de la formation, ils obtiennent un CDI. Le sport est révélateur de comportement, de motivation, et de compétences. Au travers de ces initiatives, j’essaye d’apporter, en complément des dispositifs existants, mes compétences et mes solutions pour aider la société. Je suis devenu en quelque sorte l’entraîneur national des gens ordinaires.

VOUS ÊTES AUSSI PRÉSENT DANS LE MILIEU DE L’ENTREPRISE.

Concernant les entreprises, la pratique sportive n’est pas un réflexe. Il faut donc optimiser les séances de sport avec un vrai retour sur investissement. Une salle de sport classique va immobiliser de la surface, demander de lourds investissements et pas forcément créer du lien car chacun peut travailler seul sur les appareils. A contrario nos ateliers de sport en groupe font partie des rares moments où les collaborateurs échangent et où les services se parlent. Nous proposons des pratiques douces ou sportives adaptées à tous les collaborateurs y compris celle et ceux qui n’ont jamais fait du sport. L’objectif est de permettre aux salariés de passer un bon moment mais surtout de créer du lien social entre les collaborateurs.

TRAVAILLEZ-VOUS SUR DE NOUVEAUX PROJETS, DE NOUVELLES FORMES DE PRATIQUES POUR ATTIRER UN PUBLIC TOUJOURS PLUS LARGE ?

Les coaches, même s’ils sont spécialistes d’une discipline, ne se cantonnent pas à leurs propres activités car ils ont une expertise large et une approche globale. La performance n’est jamais l’objectif. Les plus forts aident les plus faibles. Il y a une vraie personnalisation des exercices en lien avec la santé des pratiquants, qui est au cœur de mes préoccupations depuis le début de ma carrière, même lorsque j’étais coach de haut-niveau. Si on prend l’exemple des seniors, ces derniers sont davantage sensibilisés au sport aujourd’hui et on souhaite les inciter à pratiquer davantage. Pour celles et ceux qui n’ont jamais fait d’activité sportive, il n’est jamais trop tard pour commencer. C’est même préconisé par la plupart des médecins. Le meilleur médicament, c’est le mouvement ! On propose des activités adaptées comme le Fit-Walk, un concept que nous avons créé et qui reprend les principes de la marche nordique mais en y intégrant des exercices physiques tous les 500 mètres parcourus. On fond musculairement avec l’âge, il est donc très important de se renforcer.

Le point d’orgue de mes dispositifs, c’est la qualité et l’égalité. La qualité grâce à l’expertise du sport de haut-niveau et l’accessibilité car c’est le sport qui vient à vous grâce au Shizen Sport-Truck. On propose des séances complètes à base de 4 composantes au travers de circuits training incluant du stretching, de la respiration, du renforcement musculaire et la proprioception. Nous pratiquons aussi de la boxe, de la marche et de la course pédestre, du renforcement musculaire, du yoga, du pilâtes, des jeux en équipes… Les pratiquants sont très sensibles aujourd’hui à une diversité de l’offre. Par ailleurs, certaines fédérations nous ont rencontrés pour développer leur pratique sportive auprès de tous les publics, ce que nous sommes en capacité de faire.

VOUS TRAVAILLEZ AVEC DES ENTRAINEURS ÉMÉRITES, PARFOIS MÊME MÉDAILLÉS OLYMPIQUES. EN QUOI EST-CE IMPORTANT POUR VOUS QUE DES CHAMPIONS PARTICIPENT À VOTRE INITIATIVE ?

On travaille avec des champions pour la qualité de leurs séances et non pas pour leur performance. De plus, ils ont tous une démarche de progrès ce qui stimule les pratiquants. La crédibilité du coach est très importante. Si on prend l’exemple de nos interventions au sein des établissements scolaires, le champion est très écouté par les élèves.

LA FRANCE, DONT L’ÉDUCATION EST HISTORIQUEMENT CENTRÉE SUR LA CULTURE, EST CONSIDÉRÉE COMME EN RETARD EN TERMES D’ACCESSIBILITÉ ET DE PROMOTION DU SPORT AUPRÈS DE SES CITOYENS. PENSEZ-VOUS QUE C’EST EN TRAIN DE CHANGER ?

L’opinion publique est plus sensible aux bienfaits du sport qu’il y a quelques temps. Je pense que c’est lié aussi aux émissions de sensibilisation comme celles de Michel Cymes, qui est, comme je le dis souvent, notre meilleur ambassadeur. Il ne faut pas que les événements majeurs tels que l’Euro ou les JO ne soient que de simples effets d’annonce. Il faut bien-sûr des résultats sportifs et des champions, pour le rayonnement de la France et son dynamisme. Ce sont également des formidables leviers pour la pratique sportive pour tous. Mais l’objectif premier, c’est l’enseigner le sport pour créer une belle jeunesse et améliorer la santé des plus âgés. La pédagogie est très importante parce que quand on parle de sport compétitif, cela peut faire peur. Alors que quand on parle du sport pour ses bienfaits sociaux et sur le bien-être et la santé, les gens sont plus réceptifs.

VOUS ALLEZ DÉVELOPPER VOTRE DISPOSITIF EN ZONES RURALES : AVEZ-VOUS DÉJÀ IDENTIFIÉ DES TERRITOIRES PRIORITAIRES ?

J’ai démarré l’offre du Shizen Sport-Truck en Île-de-France pour des questions pratiques, car nos bureaux sont à Paris et cela permettait de le tester plus sereinement. On constate que cela fonctionne bien donc on souhaite aujourd’hui essaimer le concept vers d’autres régions. Pour cela, je vais prochainement mettre en place des équipes en lien avec mes interlocuteurs et pour celles et ceux qui souhaitent être indépendants, j’ai crée la franchise « Shizen Sport ». Les deux premières régions autres que l’Île-de-France dans lesquelles je souhaite installer Shizen Sport sont la Normandie et l’Occitanie car Aveyronais d’origine. Et puis pourquoi pas ensuite le reste de la France. On ne se fixe aucune limite géographique. Avec le sport, on a des relais partout parce que la promotion des activités sportives a du sens pour tout le monde. Aujourd’hui, on y va progressivement parce que l’on veut que cela reste qualitatif.

PARIS 2024 APPROCHE À GRANDS PAS, CONSTATEZ-VOUS UNE DYNAMIQUE NOUVELLE AUTOUR DU SPORT DEPUIS QUELQUES TEMPS ?

Pas tant que ça. Hélas, les jeunes que je côtoie n’ont jamais entendu parler de Paris 2024. Notre dispositif permet donc de les informer de l’existence d’un tel événement. Au-delà de la communication, il faut que les Jeux créent une dynamique pérenne et c’est ce qui est en train de se passer avec Héritage 2024. Cette volonté de rendre les Jeux inclusifs, c’est-à-dire faire participer les citoyens, construire et restaurer des infrastructures, et créer de l’emploi, est une très bonne chose. Un des domaines les plus importants est celui de l’emploi pour lequel nous travaillons dur, en particulier avec Pass’Sport Pour l’Emploi. Les Jeux et l’intérêt qu’ils suscitent doivent profiter à un maximum de personnes en particulier les personnes éloignées de l’emploi.

QUELS SONT VOS OBJECTIFS À LONG TERME ?

Mettre la France au sport ! (Rires.) Plus sérieusement, c’est faire en sorte que la société aille mieux et contribuer au développement des valeurs du sport dans tous les compartiments de la société : santé, savoir-être, lien social, emploi, et l’éco-responsabilité. Un vrai sujet lorsqu’on sait par exemple que dans les salles de sport, des millions de mètres cubes d’eau dont 40 % est chauffée vont chaque année dans les caniveaux. C’est pour cela que le Shizen Sport-Truck a été nominé aux Eco-Sport Awards. Le sport concerne tous les compartiments de la société moderne et le Shizen Sport-Truck contribue à le prouver.