LA FINALITE DU COACHING DANS LE SPORT DE HAUT-NIVEAU

Interview de Benoit CAMPARGUE, réalisé par Lionel CASSOU-CALARI de l’Ecole Supérieure de Commerce de Pau.

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LCCPouvez-vous nous donner une brève présentation de votre parcours et description de votre poste actuel ?

BC: J’ai été membre de l’équipe de France de judo de 1991 à 1997, pilote Motocycliste de 1991 à 1995, entraîneur national de 1997 à 2012 puis Coach et Manager de sportifs pour plusieurs disciplines (le judo avec Teddy RINER et l’équipe de France de judo de 2004 à 2012, l’équipe de France de Patinage Artistique en 2014, Louis ROSSI et Jules DANILO  en championnat du monde de Moto2 et Moto3, l’équipe de France de dressage pour les Jeux équestre Mondiaux, Romain GROSJEAN en 2012 et 2013 pour la F1…).

LCCPour vous, quelle est la finalité du coaching ?

BC: Le coach est en quelques sortes un guide; il permet l’accompagnement et la gestion de la carrière du sportif dans un domaine précis ou sous toutes ses formes à partir du moment où ce dernier lui fait confiance. Il doit cependant s’entourer des personnes compétentes et efficaces. La confiance est très importante car lorsqu’on entraîne dans ces conditions, les progrès sont extrêmement rapides. Sans confiance, le coach doit stopper la collaboration immédiatement.

Le coaching peut aussi être associé à un secteur en particulier de la discipline comme l’aspect technique, tactique, physique, émotionnel ou mental ; nous sommes dans ce cas un satellite de la performance des athlètes ; c’est mon cas en patinage artistique par exemple.

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 LCCComment s’acquiert selon vous l’expertise de coach ?

BC: Elle s’acquiert par la recherche permanente de nouvelles connaissances tout en capitalisant l’expérience vécue (réussite ou échecs), les rencontres et les disciplines pratiquées ou entraînées. Le mélange des 2 permet d’accroitre l’expertise à condition de conserver sa propre sensibilité, sa personnalité et sa façon de faire ; la marque de fabrique (ou l’identité) est très importante car c’est ce sur quoi les athlètes s’appuient et se sentent en confiance. Pour moi, un coach sans personnalité est soporifique et n’est pas un bon coach. Mais il doit cependant rester à sa place, afin que son athlète puisse exprimer à son tour sa personnalité.

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LCCLe coaching a-t-il évolué depuis vos débuts ? Sur quels aspects principaux ?

BC: Le coaching est un terme très (trop ?) générique aujourd’hui, c’est pourquoi je n’aime pas trop l’utiliser mais je m’y fais petit à petit. Concernant le sport de haut-niveau, l’apport extérieur  n’a fait que croitre depuis les 2 dernières décennies ; ce qui peut parfois poser des problèmes et demande une vraie coordination de l’ensemble des intervenants.

J’avais ce rôle auprès de Teddy (Riner). J’étais autant son manager que son entraîneur car je devais coordonner les intervenants tant sportifs que extra-sportifs ; le fil conducteur était l’entraînement, je faisais en sorte que tout le reste s’y adapte et pas l’inverse. Cela m’a donné l’idée de me définir en tant de « manager sportif » mais aussi de créer avec d’autres personnes, une structure qui met en place organise tous les besoins de l’athlète de haut-niveau. Cela va de l’entraînement à la gestion des l’image en passant par le médical et les équipements sportifs.

Aujourd’hui, en sport comme dans la société, on tient davantage compte de l’individu. Cela se traduit par davantage d’individualisation et de travail personnalisé qu’il soit physique, mental ou tactique. Cependant, la limite de l’individualisation est l’assistanat. Le coach doit veiller à ce que l’athlète reste motivé et surtout maitre d’œuvre, c’est la raison pour laquelle on doit de temps en temps le laisser un peu dans la « M. ».

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 LCCA quel niveau intervenez-vous dans le développement du « coaché » ?

BC: J’interviens en préparation physique et(ou) mentale, mais aussi en tant que conseiller stratégique  auprès des athlètes (par exemple au niveau de la planification de la saison) et structurel auprès des fédérations. Mon autre rôle est celui de « manager sportif », c’est-à-dire organiser et manager nos différents  intervenants autour de l’athlète ou de la fédération tout en ayant toujours la performance en ligne de mire.

LCCQuels sont les fondamentaux qui vous guident en permanence dans votre démarche ?

BC: Il me semble important de clarifier dans un premier temps le contexte dans lequel l’athlète évolue et simplifier pour être plus efficace, ensuite, on peut éventuellement affiner. Pour l’instant, je n’ai pas vu d’usine à gaz faire des champions (même si c’est très beau sur le papier). En 3, il faut bien sûr agir en développant les capacités de chacun car l’action est un fondamental pour avancer surtout en sport. Tenir le cap est important également dans un environnement qui bouge en permanence.

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 LCCQuels ressorts utilisez-vous pour rester toujours «éveillés», ne pas tomber dans la routine ?

BC: Aujourd’hui, tout va plus vite, nos jeunes sont souvent impatients et ont davantage besoin de changements ; c’est la société (mise en place pas nous) qui veut cela. Personnellement j’utilise plusieurs « outils pour casser la routine et développer d’autres capacités dont le tennis, la natation, le football et même le judo. Le fait d’entraîner des athlètes de disciplines variées m’aide beaucoup et m’apporte de  nouveaux savoirs. Les discussions et rencontres avec d’autres coaches et sportifs sont essentielles. On progresse parfois davantage à la cafétéria que dans l’amphithéâtre. Les échanges, les nouveaux apports, la mutualisation de moyens permettent de redonner de la fraîcheur aux contenus et ainsi permettent de ne pas tomber dans la routine.

 LCCDécrivez-nous la relation athlète-coach: Etes-vous réellement «proches» ? Instaurez-vous certaines barrières dans votre relation ?

BC: La proximité doit toujours être accompagnée du respect et par conséquent d’un peu de recul par rapport à la personne mais aussi par rapport à ses résultats. Attention aux personnes qui s’identifient trop aux athlètes. Par conséquent je peux être très proche sans pour autant le montrer ou me substituer à un ami ou à la famille. La proximité augmente avec la diminution des effectifs dont on a la charge. En d’autres termes, plus le groupe est important moins on est proche d’un individu. Dans ce cas de figure c’est la dynamique de groupe qui l’emporte.

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LCCVous avez coaché des athlètes dans différents sports. Pensez vous que le fonctionnement, les méthodes d’un coach sont transposables pour travailler avec des athlètes de tout sport, de tout «statut» ? Pourquoi ?

BC: Pour avoir coaché dans plusieurs disciplines très différentes (MotoGP, Equitation, F1, Football, Judo, Patinage artistique…), je me considère comme un grand privilégié. Vivre cette expérience que peu de coach ont eue est unique. Cela est un très gros atout et une richesse incroyable pour moi et toutes les disciplines que je peux entraîner. Tout est transposable à partir du moment où on analyse les situations vécues et on y adapte les contenus. En résumé, cette connaissance est un très gros atout car elle permet de mieux comprendre, analyser et agir dans les différentes disciplines quelles qu’elles soient; de plus, je vis d’extraordinaires aventures humaine.

LCC: Comment mesurez-vous l’efficacité de votre travail ?

BC: Je le mesure par les progrès effectués sur le secteur dans lequel j’interviens; par exemple la condition physique de Louis ROSSI lorsqu’il est passé de Moto3 à Moto2 en 2013. Ensuite il y a les résultats sportifs. Des indicateurs sont à notre disposition pour évaluer ces progrès, soit sur l’entraînement, soit en compétition. Les indicateurs sont forcément plus réalistes lors d’une compétition car on y retrouve tous les facteurs de la performance comme la gestion des émotions et du stress qu’on n’a pas ou peu à l’entraînement.

LCCSur quels éléments se baser pour faire évoluer ce travail et améliorer les résultats obtenus ?

BC: Beaucoup de choses interviennent pour progresser. Les progrès peuvent être volontaires mais sont parfois involontaires. En effet, il peut y avoir une inertie énorme entre le travail effectué et le moment où les résultats arrivent. Ils arrivent parfois au moment où on s’y attend le moins ; on est à ce moment là souvent détaché du résultat et c’est là qu’on « claque ». La patience doit régner en maître tant au niveau du coach que de l’athlète, qui, s’il s’obstine, aura toujours sa chance un jour dans sa carrière. Il faut cependant avoir des indicateurs aussi précis que possible qui vont nous guider dans le travail mis en place. Le repère du résultat sportif n’est pas suffisant car trop général et spontané car parfois, il ne permet pas de se projeter sur le long terme. L’idéal est d’ « avoir un coup d’avance », cela vaut pour les plus grands sportifs qui, lorsque ils atteignent un objectif, en ont un autre dans le viseur immédiatement après. Au-delà des repères calibrés de la performance, la relation avec l’athlète, qui, si elle est « cash », permet d’obtenir les retours essentiels pour la mise en place de la planification et des contenus.

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photos: Lydia Bouchardon