Paris obtient (enfin) l’organisation des Jeux Olympiques!!

La perspective d’une candidature de Paris à l’organisation des Jeux Olympiques (JO) de 2024 divise les décideurs publics sur l’opportunité d’un tel événement. Empreints de gigantisme, ces événements impliquent des impacts majeurs pour les villes qui les accueillent. Au-delà des motivations en termes de reconnaissance internationale pour la ville d’accueil et des considérations électorales pour les personnalités politiques décidant de leur organisation, l’accent est souvent mis sur les bénéfices économiques que ces événements engendrent pour justifier les candidatures. Celles-ci s’accompagnent généralement d’évaluations réalisées par des cabinets privés mettant en regard coûts et retombées économiques et soulignant la rationalité économique de la candidature. Ces études permettent aux décideurs publics de faire reposer leur volonté d’organisation des Jeux Olympiques sur des éléments chiffrés et sur la promesse de bénéfices pour l’ensemble des acteurs économiques de la ville d’accueil.

Cependant, une fois passées l’euphorie de la candidature, les performances sportives et l’exaltation collective issue des cérémonies, il convient de reconnaître avec le recul nécessaire que les bénéfices attendus de ces événements ne sont que rarement atteints et les budgets initiaux systématiquement dépassés. Malheureusement, ces études menées a posteriori, dites ex-post en opposition aux études ex-ante réalisées avant le déroulement des Jeux, comparant les coûts et les bénéfices anticipés à ceux réellement réalisés sont rares, les décideurs ayant souvent peu intérêt à lancer des études aux conclusions, bien souvent, peu avantageuses . Face à ce manque de recul, les études académiques sur le sujet fournissent un éclairage pertinent par leur rigueur et approche rétrospective.

Sur base des études d’impact ex-post existantes, issues de la recherche académique, nous passons en revue différents aspects économiques liés à l’organisation des Jeux Olympiques dans l’hypothèse d’une candidature de la ville de Paris. Nous nous appuyons pour cela également sur les études liées à l’organisation d’autres événements majeurs d‘ampleur internationale, aussi appelé « méga évènements », comme les coupes du monde de football et les expositions universelles. Tous ont en commun la nécessité d’infrastructures d’accueil substantielles permettant de recevoir un afflux ponctuel de visiteurs massif. Cette revue des effets économiques commence par une évaluation des coûts observés pour les événements passés et met en évidence les dépassements des coûts liés à leur organisation. Nous analysons ensuite les causes de ces dépassements, qui s’avèrent être liés aux divergences d’intérêts des différentes parties prenantes du processus de candidature, puis nous étudions les retombées économiques de ces événements en termes d’activité locale, de tourisme et de commerce international.

Organiser des JO requiert un effort financier important de la part de la collectivité et ce coût élevé concentre souvent les réticences des opposants à une candidature . Ces réticences sont d’autant plus justifiées que tous les Jeux Olympiques depuis 1968, date à laquelle nous disposons de données fiables, ont affiché des dépassements substantiels des coûts anticipés lors de la candidature . Les graphiques suivant présentent les coûts anticipés et réels des infrastructures sportives des JO respectivement d’été et hiver . Les dépassements s’élèvent en moyenne à 179 % (pour les investissements et dépenses liés aux compétitions sportives), soit une valeur bien supérieure à celles d’autres mégaprojets publics ferroviaires ou routiers (avec des dépassements en moyenne inférieurs à 50%)

Ainsi lors de la dernière édition des JO d’été à Londres, les coûts anticipés de 7,4 milliards d’euros ont été in fine de 14,8 milliards, soit le double de l’estimation initiale. La dernière fois que les JO ont été organisés en France lors des JO d’hiver d’Albertville en 1992, les coûts anticipés ont été dépassés de 135 %6 . L’édition précédente en France, avec les Jeux de Grenoble de 1968, n’a pas été plus vertueuse, avec un dépassement de 200 %. Les Jeux de Montréal en 1976 détiennent un record toujours inégalé avec une enveloppe budgétaire 9 fois plus élevée qu’initialement prévue. L’histoire des JO passés, si elle continue à se répéter comme elle le fait depuis 1968, révèle ainsi que l’estimation des coûts de l’organisation des JO au moment de la candidature sous-estime à coup sûr les coûts qui seront finalement supportés par la collectivité. La candidature de Paris, si elle a bien lieu, ne devrait pas faire exception à cette règle.

Ces efforts financiers conséquents imposent la plupart du temps de mobiliser bien au-delà de la seule ville organisatrice. Ainsi la région mais aussi l’Etat viennent généralement apporter leur contribution à l’organisation quand bien même les bénéfices restent en grande partie concentrés au sein de la ville d’accueil. Cela pose la question de la pertinence de transferts de l’ensemble du pays vers une ville majeure qui profite généralement d’un développement économique déjà plus avancé que le reste du pays. Est-il opportun de renforcer économiquement la capitale, relativement à la province, par les investissements liés aux JO, dans le contexte d’une économie nationale déjà très centrée sur Paris ?

À cet égard, la proposition récente du comité olympique international visant à permettre à plusieurs villes de s’unir pour l’organisation de JO est bienvenue. Elle permet d’élargir la base des localités supportant les dépenses et possiblement de diminuer le poids imposés aux autres acteurs économiques.

L’organisation de JO nécessite des ressources considérables, qui sauf exceptions, impose de recourir à l’endettement pour financer les investissements et les dépenses. Bien qu’il soit envisagé d’exploiter au maximum les infrastructures sportives existantes, l’organisation de JO à Paris imposerait un coût élevé. Pour mémoire, les candidatures de Paris et Londres en 2005 en vue des JO de 2012 affichaient des budgets initiaux similaires . Les bilans financiers de l’Ile de France et du pays devraient supporter une part considérable de ce montant dans un contexte économique où l’endettement est déjà important et peu souhaité. Par ailleurs, l’État français serait le garant en cas de déficit de financement des JO de Paris, comme c’est traditionnellement le cas dans les dossiers de candidature.

Comment expliquer que les coûts avancés lors des candidatures soient systématiquement et massivement dépassés ? Une première raison pourrait tenir à l’incertitude inhérente aux dépenses et investissements nécessaires plusieurs années avant le déroulement de l’événement. Cependant cette seule incertitude ne semble pas, d’après différentes études, pouvoir expliquer à elle seule une telle série de dépassements. Il apparaît en revanche que la divergence d’intérêts des acteurs impliqués dans les candidatures et l’approche suivie par le CIO soient à la source des dépassements structurels. Plusieurs économistes ont eu recours au mécanisme appelé la « malédiction du vainqueur » (communément désigné en anglais par l’expression « the winner’s curse ») qui caractérise communément le déroulement d’enchères. Lors d’une enchère portant sur un bien dont la valeur n’est pas connue avec précision, cette incertitude peut entraîner le vainqueur à payer le bien au-delà de sa valeur réelle. En effet, l’enchère étant remporté par le participant proposant la somme la plus élevée, il y a une forte probabilité qu’il ait surestimé cette valeur réelle. Dans le cas des JO, ceci se traduit par le vainqueur proposant le projet le plus ambitieux mais en sous-estimant les coûts réels et en surestimant les recettes.

Ce mécanisme est renforcé dans le cas des JO par les incitations propres aux différents acteurs lors de la candidature. Le CIO et les villes candidates ne partagent pas les mêmes objectifs lors du processus de candidature. Le premier a pour objectif de choisir une ville d’accueil qui offre la meilleure qualité d’organisation, d’accueil et d’image pour le déroulement des JO, tout en s’assurant de sa faisabilité. Il ne supporte pas le coût financier de l’organisation et n’a donc pas une incitation particulière à s’assurer de la solidité des estimations de budget, au-delà de la seule faisabilité pour la ville organisatrice afin d’éviter un échec flagrant d’organisation. Les villes candidates sont généralement représentées par leurs élus locaux et nationaux au moment de la candidature. Ceux-ci ont pour objectif de maximiser les chances d’obtenir les JO pour profiter de retombées électorales et d’image, pour montrer leur capacité à mener à bien un projet de dimension internationale, à promouvoir les intérêts nationaux10 et d’autres intérêts particuliers. Les décideurs publiques ont ainsi des incitations à afficher des retombées économiques considérables, même si irréalistes, en minimisant les coûts pour renforcer le soutien public du projet. Pour leur intérêt personnel, ils ont tendance à survaloriser le projet. Cette tendance est renforcée par le fait que les retombées économiques réelles de l’organisation des JO se font dans un horizon assez lointain, tandis que les gains en termes d’image se concentrent en partie lors du processus de candidature. Les autres candidats suivant les mêmes logiques, on aboutit à une surenchère d’infrastructures sportives et d’accueil.

Suivant les critères retenus par le CIO, plus la ville candidate propose un projet ambitieux en s’engageant sur des promesses de qualité d’accueil, plus sa probabilité de remporter les jeux est élevée. Cette logique aboutit à ce que les décideurs publics les plus désireux d’accueillir les jeux fassent monter les enchères en proposant des infrastructures ambitieuses tout en justifiant cette ambition par un coût modéré et des retombées économiques irréalistes. Tous les ingrédients de la malédiction du vainqueur sont réunis : le vainqueur aura probablement surévalué les bénéfices liés à l’organisation des JO et les personnalités portant les candidatures ont tout intérêt à abonder dans le sens de cette surévaluation. Le cas de Londres constitue une bonne illustration de ce mécanisme. L’estimation budgétaire présentée lors de la candidature sous-évaluait largement les coûts de manière grossière puisqu’elle n’incluait pas par exemple l’organisation des Jeux paralympiques et avait calculé la TVA à un taux inférieur à la réalité.

Dans ces conditions, on ne saurait s’étonner du décalage observé entre prévisions budgétaires et réalité économique puisqu’il trouve ses racines dans le processus même d’attribution des JO. Les JO de Los Angeles offrent un contre-exemple intéressant des conséquences du processus d’enchères. Los Angeles était la seule ville candidate aux JO de 1984. Ces JO ont dégagé des bénéfices substantiels : en l’absence de concurrents, la ville a pu éviter la surenchère.

Les villes candidates commencent à intégrer l’existence de la malédiction du vainqueur. Ainsi les villes de Lviv, Oslo, Stockholm et Cracovie ont toutes décidé de retirer leurs candidatures aux JO d’hiver de 2022, laissant seules Pékin et Almaty (Kazakhstan) en lice. Le directeur de la communication du projet Oslo2022 a reconnu que les bénéfices liés à l’organisation des JO, bien qu’existants, ne suffisaient pas à justifier des coûts déjà révisés à la hausse depuis la décision de candidater. Stockholm a aussi jugé qu’elle ne disposait pas d’assez de temps pour apprécier le réalisme des coûts estimés.

Pour être pertinente, une décision de candidature aux JO doit être pensée en termes de coût d’opportunité. Chaque euro investit dans une candidature puis dans l’organisation des JO pourrait-il être investi dans un autre projet dont les retombées économiques seraient supérieures ? En d’autres termes, le retour sur investissement des JO est-il suffisant pour justifier un effort financier important dans un contexte économique d’endettement et de volonté politique de réduction de la dette nationale ? Pour répondre à cette question, il convient de se pencher sur les bénéfices attendus de ce type d’événements.

Les candidatures aux JO mettent en avant les multiples retombées économiques pour justifier leur coût financier. Il est malheureusement rarement vérifié si ces promesses mirobolantes se concrétisent. En effet les organisateurs n’ont pas vraiment intérêt à réaliser des études dont les résultats pourraient souligner leur manque de réalisme économique lors de la candidature. En outre, les retombées économiques ne peuvent par définition être mesurées que dans le long terme et après l’organisation des JO, alors que l’attention accordée au JO s’arrête à la cérémonie de clôture.

S’il est indéniable que les JO permettent la réalisation d’infrastructures de transport ou sportives, leur reconversion après les JO est parfois délicate. Ainsi le « nid d’oiseau » à Pékin peine à remplir ses 91 000 places et ne parvient pas à couvrir ses coûts d’entretien. On pourrait de même citer la piste de Bobsleigh de la Plagne des JO d’Albertville, dont les coûts ont été près de 4 fois plus élevés que l’enveloppe budgétaire initiale, ou encore le tremplin de saut à ski de Saint-Nizier-du-Moucherotte construit pour les JO de Grenoble en 1968, aujourd’hui à l’abandon, ou les sites olympiques abandonnés en Grèce après les JO de 2004.

Il est par ailleurs souvent délicat d’attribuer la création d’infrastructure de transport aux seuls JO. S’il existe un besoin réel de ces infrastructures, il est probable que les investissements seront de toute façon réalisés, que les JO aient lieu ou pas.

Un autre type de retombées concerne l’activité économique locale, l’emploi et les salaires. Les études académiques menées sur le sujet soulignent cependant que les effets sont généralement au mieux faibles et parfois inexistants, voire négatifs. Une étude portant sur les jeux de Salt Lake City a ainsi démontré que les JO avaient entraîné un regain d’activité pour les hôtels et les restaurants mais avaient affecté négativement les autres types de commerces. Au total, les pertes ne suffisaient pas à compenser les gains. Ce type de conclusions se retrouve dans de nombreuses études, synthétisées dans le tableau en annexe. Il apparaît ainsi que les retombées au niveau de l’emploi et de l’activité au niveau locale sont au mieux incertaines, au pire négatives.

Le secteur du tourisme pourrait directement bénéficier de l’organisation des JO en profitant de l’effet de vitrine offert à la ville ainsi que de l’afflux d’amateurs de sports. En pratique, les quelques estimations fiables démontrent que cet effet est limité, notamment du fait de l’éviction du tourisme « traditionnel » par le tourisme sportif. Les touristes attirés par les JO se substituent aux autres personnes décidant de ne pas se rendre dans la ville pour cause de JO. Ceci est d’autant plus le cas dans les villes touristiques comme Paris ou Londres. Cette dernière avait subi une baisse du nombre de touristes durant les JO de 2012. Ces phénomènes d’éviction modifient aussi le type de tourisme : le centre de Londres a ainsi été victime d’une baisse d’activité durant les JO, si bien que les gains générés autour des sites olympiques n’ont pas compensé les pertes provenant des autres sites touristiques.

L’organisation de Jeux Olympiques constitue pour beaucoup une vitrine nationale renforçant l’attractivité du pays accueil et celle de ses produits. Une étude réalisée par deux économistes renommés a démontré, à leur grande surprise, que la tenue de JO semblait avoir un impact positif sur les exportations . Ce type de méga-événement pourrait ainsi profiter aux entreprises exportatrices en mettant en avant leur pays d’origine. Cependant la même étude établit que cet effet ne concerne pas uniquement le pays organisateur mais aussi les pays candidats qui n’ont pas été sélectionné par le CIO. Les auteurs de l’étude attribuent ce phénomène au fait que les pays candidats signalent au reste du monde leur positionnement parmi les nations disposant des capacités économiques pour organiser des JO. Or ce positionnement va de pair avec une libéralisation des échanges et donc une hausse des exportations. Ainsi, Pékin a remporté la candidature des JO de 2008 en 2001, deux mois avant de conclure les négociations avec l’OMC. Rome obtint l’organisation des JO de 1960 en 1955, deux ans avant de signer le Traité de Rome qui créa la Communauté Economique Européenne. Les JO de Tokyo en 1964 coïncidèrent avec son entrée au FMI et à l’OCDE. Barcelone remporta la candidature des JO de 1992 en 1986, année durant laquelle l’Espagne rejoignit la Communauté Economique Européenne.

Ce n’est donc pas l’organisation des JO qui promeut le commerce international au travers d’une activité économique renforcée ou grâce à un investissement dans des infrastructures au développement économique du pays mais la libéralisation économique qui va souvent de pair avec une candidature aux JO, qu’elle soit retenue ou pas.

Auteurs: Emmanuel Frot, Vice-Président, Microeconomix et Julien Gooris, Economiste, Microeconomix

http://www.microeconomix.fr/sites/default/files/150210_couts_des_jo_-_version_finale.pdf